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Lenda: «J’ai toujours payé le fait de ne pas rentrer dans le moule»

Elle a 16 ans et compose des chansons qui racontent le calvaire vécu durant toute sa scolarité. Lenda aimerait devenir un étendard pour tous les enfants victimes de harcèlement scolaire. 

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La jeune chanteuse Lenda a subi du harcèlement tout au long de sa scolarité

Lenda, 16 ans, devant la maison familiale. La jeune Vaudoise talentueuse raconte dans ses chansons, composées souvent dans sa chambre, le calvaire du harcèlement qu’elle a subi durant toute sa scolarité depuis la classe enfantine. 

Julie de Tribolet

C’est une chanson qui devrait être au programme de toutes les écoles. A l’heure où le harcèlement scolaire fait des ravages – entre 5 et 10% d’élèves concernés en Suisse –, écouter Lenda, 16 ans, chanter «Comme si de rien», c’est le meilleur outil pédagogique pour prévenir la cruauté, la méchanceté et l’inconscience. Elle a 16 ans, une maturité folle, écrit et compose des chansons où elle a mis en vrac toute la souffrance subie depuis des années. Les insultes, les coups, le rejet, omniprésents. «J’ai toujours payé le fait de ne pas rentrer dans le moule, d’être différente, hypersensible», explique cette jeune fille vibrante qui espère bien, avec ses chansons, être une sorte d’étendard dans la lutte contre le harcèlement.

On a grimpé jusqu’à sa maison, au-dessus de Moudon, au milieu des champs et en bordure de forêt. Un endroit isolé où elle vit avec ses parents, son frère, sa sœur et Frimousse le chat, témoin silencieux mais affectueux. Quand Lenda évoque l’enfer dans un endroit aussi paradisiaque, cela peut sembler un peu incongru. Et pourtant, c’est un vrai calvaire qu’a subi la jeune fille tout au long de ses années scolaires. «J’ai toujours été la cible facile à l’école. En enfantine déjà, certains enfants m’attachaient à une chaise ou me forçaient à manger du papier, je subissais même de petits rackets, mais je n’en souffrais pas trop.» Un QI au-dessus de la moyenne et le fait qu’en 3e elle s’ennuyait ferme. «Je demandais plus d’exercices à la maîtresse, ça passait mal, je n’étais pas comprise, si j’avais le malheur de faire une mauvaise note, elle me rabaissait, m’humiliait.» 

Se battre ou mourir


Sur conseil d’un psychologue, il a été décidé qu’elle passerait directement en 5P à la fin de la 3e. «Les insultes sont alors devenues quotidiennes. Pour les autres élèves, j’étais une «traîtresse, une sale intello.» Les mots se bousculent dans sa bouche. Elle a tellement fait du silence un compagnon qu’aujourd’hui sa parole se libère en flots. Heureusement, il y a la musique et le dessin. Elle n’a jamais appris la moindre note de solfège mais, à 6 ans, la petite fille savait jouer d’oreille au piano l’«Aigle noir» de Barbara. 

Une période difficile. Alexandra, la maman de Lenda, infirmière au CHUV, raconte l’impuissance des parents, le manque de dialogue avec les enseignants, l’incompréhension. Déjà, au début de la primaire, Lenda voulait mourir et l’avait consigné comme tel dans son cahier. «J’aimerais m’en aller au ciel comme un papillon.» Dans «Guerrière», une autre de ses compositions, ces phrases si intenses: «En vrai j’ai pas envie de mourir / J’veux juste faire une pause dans cette vie / Faire un coma ou m’endormir /[…] J’veux pas partir j’veux juste une pause / Histoire que mon corps se repose.»

«Chaque année, j’avais l’espoir que cela aille mieux l’année suivante. Soit je me battais, soit je mourais», confie-t-elle. Mais la 5e est un véritable cauchemar, et les années qui suivront ne mettront pas non plus un terme au harcèlement. On lui dit qu’elle est trop sensible. Qu’il faut s’adapter. Du fait de son jeune âge, elle a deux à trois ans de décalage avec des filles déjà formées, devient très vite l’objet de remarques sur son physique de la part des garçons. Une élève a pris la tête de ses tourmenteurs. Brimades, coups, insultes, chantage et menaces de mort. Comme elle le chante, elle passe beaucoup de récrés aux toilettes et serre les dents après les heures de classe, car elle sait qu’ils sont plusieurs à l’attendre. «Ma tête explose alors qu’j’ai pas commencé la journée / Mon cœur doit déjà se reposer histoire de ne pas lâcher / Mon ventre se serre, j’ai déjà envie de gerber / Juste à penser que la journée n’est pas encore terminée», écrit-elle encore dans «Guerrière». Autres paroles extraites de «Comme si de rien»: «Même chez moi j’étais terrifiée / De peur de me refaire frapper / Même dans les endroits les plus cachés / Vous arriviez à me retrouver.» 

Face à la gravité de la situation, un éducateur est appelé à la rescousse. «Vous arrêtez vos conneries ou elle va se suicider!» assène-t-il aux élèves de la classe. Des séances de médiation sont organisées. Un répit semble se profiler mais, l’année suivante, Lenda vivra l’enfer quand elle se retrouve dans la même classe que sa harceleuse. «Elle s’est tout à coup montrée plus amicale. Mais ça a duré six mois. Elle me traitait comme son esclave. Du genre: «Va me chercher ma bouteille ou je te défonce.» 

Les verbes pouvaient varier, pas la violence. «Elle me faisait des cadeaux chers, car elle avait beaucoup d’argent de poche, et m’obligeait à lui rendre la pareille. Un jour, elle m’a forcée à voler. De plus, elle m’interdisait de parler aux autres élèves sinon elle me frappait, m’isolant ainsi de tout le monde.» Les souvenirs sont toujours à fleur de mémoire et les larmes affleurent sur son visage. L’intervention de ses parents auprès de la mère de sa persécutrice n’améliore rien. Ni le fait de changer de numéro de téléphone ou de se couper des réseaux sociaux. «Avec deux autres garçons, elle était sur moi en permanence.» Lenda vit dans un tel stress qu’elle refuse de se rendre à l’école. La police, contactée, avoue son impuissance. Les parents de Lenda se souviennent d’avoir tapé sur la table lors d’une réunion avec un prof et une médiatrice: «On le prononce, ce mot «harcèlement»? A quoi sert de faire des campagnes publiques sur ce thème si on ne fait rien dans la réalité?»

La jeune chanteuse Lenda a subi du harcèlement durant toute sa scolarité. Ella a réussi à sortir la tête de l'eau grâce au soutien de sa famille

Sans sa famille, dit-elle, elle ne serait plus là. Ici avec Kimia, sa petite sœur, et Alexandra, sa maman, avec qui elle a écrit un livre à quatre mains sur son histoire, qui cherche un éditeur.

Julie de Tribolet

Retrouver la confiance en soi


Ses parents songent à la changer d’école. Voire à déménager. «Je n’étais pas d’accord, s’insurge Lenda. J’avais compris que ce n’était pas moi le problème, donc ce n’était pas à moi de partir!» En langue congolaise, le pays de son père, Lenda signifie «réussite». Il y a une détermination, une pureté jusqu’à l’extrême chez cette toute jeune fille qui force le respect. Elle précise aussi que le racisme n’est pas entré en ligne de compte dans son calvaire. A ses yeux, c’est sa différence, ou le fait d’avoir la poisse, qui a fait d’elle un bouc émissaire récurrent. Elle va apprendre à se battre, rendre les coups. Avec sa musique bien sûr, qui entremêle rap, slam et mélodies. «C’est ma thérapie, le seul moment où j’arrive à exprimer toutes mes émotions.» Mais aussi en prenant des cours d’autodéfense auprès de l’association Tatout. Aujourd’hui, l’injustice provoque chez elle une véritable allergie. «Elle n’a plus la langue dans sa poche, sourit sa maman. Elle est trop restée sans rien dire ou à ne pas être entendue.»

«Sans le soutien de ma famille, je ne serais plus là aujourd’hui pour vous parler», murmure Lenda. Qui a fait encore deux ans de gymnase avec des situations similaires avant de décider de quitter l’école. Elle suit actuellement les cours à l’EJMA (Ecole de jazz et de musique actuelle), à Lausanne. Mais, là encore, elle se sent un peu à part, décalée. Se dit «en reconstruction». Il y a des séquelles qui ne s’effacent pas aussi facilement. «J’ai toujours peur qu’on me frappe dès qu’une main se lève.»

Cauchemars et insomnie se partagent encore ses nuits. «Je retarde le moment du sommeil; dormir, c’est encore du danger.» Heureusement il y a la musique, la musique et encore la musique. Même si Lenda fait un stage dans une crèche pour décrocher un futur CFC, elle voit son avenir comme auteure-compositrice-interprète. Se sent aussi utile et fière quand un enfant harcelé lui confie avoir passé une de ses chansons en classe. Avec ces paroles: «Il ne faut pas penser qu’on est faible parce qu’on est une victime. Qui que tu sois, il y a toujours une sortie!» Les Templiers, ces bikers qui viennent en aide aux enfants harcelés, lui ont offert un clip. Elle a également gagné son ticket pour la demi-finale du Swiss Voice Tour, un concours musical organisé par la Coop, en septembre prochain. Elle est monté sur scène le 27 avril à la salle de la Douane, à Moudon, pour son premier concert. La jeune Vaudoise a chanté pour l’occasion les quatre nouveaux titres de son EP au titre évocateur, «Ce que je sais moi». Nous, on sait en tout cas que Lenda a du talent. Et qu’elle aimerait juste, conclut-elle, retrouver la petite fille souriante qu’elle a été. 

>> En cas de harcèlement, un numéro: le 147. Retrouvez Lenda sur Facebook et sur Instragram

Par Patrick Baumann publié le 3 mai 2024 - 11:26